Lucia O’Sullivan
1. Quel poste occupez-vous présentement et quel est votre titre officiel?
Je suis professeure au département de psychologie de l’Université du Nouveau-Brunswick et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur le comportement sexuel des adolescents.
2. Quelle formation avez-vous reçue?
J’ai une maîtrise en psychologie clinique et un doctorat en psychologie expérimentale, ce qui représente à mon avis un excellent mélange des deux grands champs de la psychologie, car il me fournit une expertise tant dans le domaine de la psychologie appliquée que dans celui de la recherche.
3. Parlez-nous un peu de votre parcours professionnel. D’où vient votre passion pour la recherche ou le travail que vous faites et comment s’est-elle développée?
J’ai commencé à faire de la recherche sur le comportement sexuel pour mon projet de spécialisation pendant la dernière année de mon programme de premier cycle. Je ne m’intéressais pas particulièrement à l’étude du comportement sexuel avant ce point, mais j’ai eu la chance de travailler avec un mentor qui m’a réellement communiqué son enthousiasme pour le processus de recherche.
À de nombreux égards, c’est un domaine d’étude qui a souvent été très difficile, car même si la plupart des gens s’intéressent naturellement aux résultats des projets de recherche sur la sexualité, on doit s’assurer que l’intégrité de la recherche en soi transparaît et que les résultats ne sont pas exploités de façon à susciter une panique morale ou une situation alarmante. J’ai toujours abordé la recherche d’un point de vue psychosocial « normatif », ce qui consiste à examiner la gamme des réactions qui semblent typiques chez la plupart des jeunes, plutôt qu’à me concentrer sur les résultats aberrants ou problématiques. Cela dit, bon nombre des recherches produites par mon laboratoire ont des répercussions directes sur les politiques en matière d’éducation et de santé, ce qui aide certainement à justifier les efforts.
4. Parlez-nous d’un ou deux de vos projets actuels.
J’ai de la difficulté à faire un choix et je pourrais écrire des volumes si l’on m’en donnait la chance. J’ai entrepris un projet de recherche avec Sandra Byers qui est particulièrement intéressant et qui semble être le premier en son genre : il s’agit d’une enquête en ligne auprès de plus de 2 000 parents indiens sur l’éducation sexuelle des adolescents à domicile et à l’école. Il y a actuellement un débat qui fait rage en Inde au sujet de l’enseignement de la santé sexuelle en milieu scolaire, alors que le gouvernement fédéral essaie de mettre en œuvre des programmes visant à contrebalancer l’un des records les plus médiocres du monde pour la santé sexuelle et génésique des adolescents. Par conséquent, la plupart des adolescents en Inde reçoivent peu ou pas d’éducation sexuelle et ne possèdent pas les connaissances les plus élémentaires, ce qui les rend vulnérables aux mauvaises issues en matière de santé sexuelle. Peu d’efforts, s’il y en a, ont été faits pour évaluer les facteurs qui influent sur la diffusion de l’information sur la santé sexuelle aux jeunes, pourtant cette information est essentielle pour résoudre ce débat. Les décideurs à l’échelle du monde présument souvent (à tort) que les parents s’opposent à une telle éducation pour leurs enfants; nos données détermineront si cette résistance existe réellement et dans quelle mesure.
Un autre projet qui se déroule ici au Nouveau-Brunswick (avec David Clark et France Talbot) englobe des enquêtes et des entrevues cliniques auprès de jeunes ayant récemment vécu une rupture amoureuse pour les comparer à ceux qui sont dans des relations intactes et ceux qui n’ont pas de relations. Les événements négatifs de la vie, comme les décès et les ruptures, sont les déclencheurs les plus communs des épisodes dépressifs majeurs. Le suicide est une complication fortement associée à la dépression chez les jeunes, ainsi que la deuxième plus grande cause de décès chez les adolescents et les jeunes adultes canadiens. En fait, il existe un lien étroit entre la rupture amoureuse et la dépression subclinique et clinique, surtout chez les jeunes hommes. Pourtant, il y a étonnamment très peu de recherches qui portent sur les risques de dépression et la vulnérabilité à la dépression à la suite d’une rupture pénible. Nous utilisons à la fois les données provenant d’entrevues qualitatives et d’enquêtes ponctuelles et longitudinales pour étudier l’impact des ruptures sur les jeunes. Pour certaines personnes, une rupture pénible est un « rite de passage » des adolescents ou des jeunes adultes, mais nous avions autrefois un point de vue semblable sur l’intimidation. À notre avis, il est essentiel d’essayer de cerner les personnes ou les ruptures qui pourraient aboutir à des résultats extrêmes, comme la dépression majeure ou le suicide.
5. Comment vos recherches ou votre travail peuvent-ils contribuer, selon vous, à l’élaboration de politiques publiques fondées sur des données probantes?
La plupart de mes travaux ont des répercussions directes sur les politiques en matière d’éducation et de santé. Mes groupes d’âges cibles sont typiquement les jeunes, et mes travaux portent typiquement sur les comportements à risque, les contextes dans lesquels les relations évoluent et les efforts de prévention. Je travaille aussi, de concert avec Jo Ann Majerovich, à une enquête pancanadienne auprès de toutes les cliniques de santé publique qui offrent des services liés à la santé sexuelle. Cette recherche n’a jamais été faite au Canada, et, à proprement parler, personne ne sait réellement quels services sont offerts à qui. Sans de telles données, il est impossible de prendre des décisions éclairées sur le type de politique (ou de changement politique) requis pour améliorer la santé et le mieux-être de la population canadienne. Nous ne pouvons pas dépendre des hypothèses. Comme psychologue sociale, je suis très consciente que nos jugements peuvent être énormément tendancieux lorsque nous ne disposons pas de données empiriques pour appuyer nos décisions.
6. Décrivez-nous certaines de vos réalisations passées qui ont été importantes dans votre cheminement professionnel. Ont-elles contribué à promouvoir des politiques publiques fondées sur des données probantes?
J’ai travaillé pendant de nombreuses années au centre de recherche sur le VIH du département de psychiatrie de l’Université Columbia, à des projets principalement centrés sur la réduction des comportements à risque chez les jeunes des milieux urbains, de même que du monde entier (Afrique du Sud, Guatemala, Inde). La plupart de ces recherches ont été directement incorporées dans les programmes de prévention et systématiquement testées. Depuis, la double importance que j’accorde à l’éducation et à la santé ont mené à d’excellentes collaborations avec des intervenants et des décideurs des deux domaines. Aujourd’hui, en réalité, il y a très peu de soutien à la recherche dans mon domaine qui n’a pas de répercussions directes sur les politiques. De la conception à la diffusion, notre objectif est de faire en sorte que les données soient pertinentes et utiles sur le plan des politiques.
7. Décrivez en quelques phrases comment vous avez participé aux activités du RRPSNB et comment votre relation avec le Réseau a contribué à votre travail ou à vos recherches et/ou aux politiques sociales/économiques.
Compte tenu de l’accent accru qui est mis sur la mobilisation des connaissances, les chercheurs doivent faire preuve de créativité dans leurs approches de la diffusion des résultats et des échanges avec les principaux intervenants. L’avènement des médias sociaux, en particulier, a ajouté une dimension entièrement nouvelle à notre réflexion concernant le transfert de nos résultats et leur utilisation par d’autres. Le Réseau m’aide à trouver des façons innovatrices d’élargir l’éventail d’organismes qui utilisent nos recherches, de même qu’à penser de cette façon synergétique dès les premières étapes d’un projet.
8. Auriez-vous quelque chose à ajouter, un mot de la fin?
De bien des façons, la vie d’un chercheur peut être très indulgente : il étudie les questions qui l’interpellent, consacrant sa vie au processus de recherche, et communique ensuite ses résultats à d’autres chercheurs qui s’enthousiasment pour les mêmes questions. Ce qui a évolué pour moi est le fait de trouver un juste équilibre entre la diffusion plus élargie des résultats de mes recherches et une approche plus délibérée pour faire en sorte que ces résultats soient captés de manière concrète pour une consommation plus généralisée. Nos données ne sont plus simplement publiées dans des revues lues par nos collègues. Elles doivent être mises à l’œuvre! C’est à nous de veiller à ce qu’elles le soient.