Renée Guimond-Plourde
1) Quel est le titre officiel de votre poste actuel et en quoi consiste-t-il?
Je suis actuellement professeure agrégée et chercheure en éducation au Secteur éducation et lettres de l’Université de Moncton, campus d’Edmundston (UMCE). À titre de professeure, je suis responsable de l’enseignement des cours de santé scolaire et de psychopédagogie des enfants et des adolescents dans le cadre des programmes de formation initiale à l’enseignement, filières primaire et secondaire.
À titre de chercheure, je suis membre de la Faculté des études supérieures et de la recherche (FESR) de l’Université de Moncton. Je suis activement engagée dans des recherches touchant à la compréhension de l’expérience vécue du stress en milieux éducatifs et qui sont financées, entre autres, par la FESR et le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH).
Globalement, mes principaux créneaux d’enseignement et de recherche se chevauchent et gravitent autour du stress chez les écoliers (primaire et secondaire) et des étudiants du postsecondaire, de l’éducation pour la santé, du partenariat parents/élèves/personnels scolaires, de l’utilisation de la visualisation en milieu scolaire ainsi que de l’application méthodologique de la phénoménologie en éducation.
2) Quelle formation avez-vous reçue?
Je possède une double formation universitaire : je suis titulaire d’un diplôme et d’un baccalauréat en sciences infirmières ainsi que d’un baccalauréat, d’une maîtrise et d’un doctorat en éducation. J’ai entrepris des études en sciences infirmières à Edmundston et à Ottawa avant d’obtenir un baccalauréat en éducation (enseignement postsecondaire) de l’UMCE ainsi qu’une maîtrise en éducation (enseignement) de l’UQAR. Durant mes études doctorales, je complétais une formation internationale en recherche qualitative phénoménologique (Phenomenology Online) offerte virtuellement à 17 doctorants par le professeur émérite, Max van Manen, Ph.D. de l’Université de l’Alberta. En 2004, je décrochais un doctorat en éducation de l’UQAM en association avec l’UQAR.
3) Parlez-nous un peu de votre cheminement professionnel. D’où vient votre passion pour les recherches ou le travail que vous faites et comment s’est-elle développée?
Mon intérêt pour le stress tel que vécu par les jeunes a initialement été soutenu lors de ma pratique en tant qu’infirmière scolaire à temps plein dans une polyvalente qui accueillait quelque 2000 élèves âgés de 15 à 19 ans. Responsable de la promotion de la santé par le biais de l’enseignement en salle de classe et de la consultation clinique, c’est à cette époque que mon questionnement de chercheure s’enracine. Particulièrement, plusieurs élèves parlent, sans toutefois les identifier, de troubles divers que je finis par associer à un ajustement scolaire, social ou familial exigeant. Quelle est cette réalité vécue qu’ils ne nomment pas (le stress), mais qui se manifeste à travers des inconforts, des symptômes, des limites et aussi des défis qu’ils relèvent souvent avec brio?
Lors de l’entrée à l’école de mon fils aîné, je constate que cette transition est exigeante. Après avoir partagé mes observations avec les autres parents, les enseignantes et les membres de la direction de l’école primaire qu’il fréquente, nous réalisons que des comportements récurrents comme des maux de ventre et maux de tête répétitifs sans cause organique, des tics nerveux et des difficultés de sommeil, entre autres, peuvent nous indiquer la présence d’un phénomène contemporain émergeant: le stress chez l’enfant. C’est collectivement, et à la lumière des préoccupations de tous les partenaires, que nous nous engageons à mettre sur pied un programme en gestion du stress chez l’enfant. Ce projet lance donc mes activités d’apprentie chercheure que je consolide à l’intérieur d’études de deuxième et de troisième cycles.
En rétrospective, je reconnais que c’est à partir de préoccupations professionnelles et parentales que l’horizon scientifique du stress s’est déployé. Cependant, le point d’ancrage immuable demeure un questionnement de parent qui constate que l’entrée à l’école peut être un passage exigeant pour l’enfant. Pour renchérir cette position, je me permets de citer la journaliste de VIA TVA qui, dans son introduction au reportage « Repos enrichissant », cadre la démarche dans une perspective qui s’harmonise avec ma trajectoire de vie : «Infirmière de formation, Renée Guimond Plourde s’intéresse au phénomène du stress chez les enfants. C’est à titre de « maman » et non de « chercheuse » qu’elle s’est penchée sur le sujet ».
4) Parlez-nous d’un projet qui a été important dans votre cheminement professionnel ? Comment cette réalisation a contribué à l’élaboration et à la promotion de politiques publiques fondées sur des données probantes ?
De façon sommaire, un projet de recherche qui me tient beaucoup à cœur rend compte d’une démarche concrète pour aider l’école, en collaboration étroite avec ses partenaires, dont les parents, à répondre de façon concertée et optimale aux besoins des écoliers en matière de bien-être à travers une gestion saine du stress au quotidien. De cet angle, les recherches entreprises ne se situent pas dans un horizon défensif de lutte contre le stress, mais choisissent plutôt d’approcher la santé de manière positive en favorisant le bien-être et la réussite scolaire. C’est dans une tentative d’outiller efficacement les écoliers dans une saine gestion du stress, que le « Projet en gestion du stress chez l’enfant de l’école Notre-Dame » est présenté comme démarche de mobilisation des intervenants, organismes communautaires et gouvernement du Nouveau-Brunswick en ce qui touche la santé globale des écoliers fréquentant les écoles publiques. Je choisis de partager quelques moments forts qui ont jalonné le parcours d’un projet qui souligne cette année son 25e anniversaire.
Le « Projet en gestion du stress chez l’enfant » est inauguré, en 1988, à l’école primaire Notre-Dame d’Edmundston (434 écoliers et 35 membres du personnel). Des parents, des enseignantes et la direction de l’école se mobilisent et décident d’effectuer un sondage pour sensibiliser les différents groupes à l’existence du stress chez les enfants, pour vérifier les attitudes face à cette problématique et pour recueillir les commentaires et suggestions de tous les partenaires. Au terme de l’étude, les responsables proposent l’implantation d’un programme en gestion du stress qui tiendra compte de l’ensemble des suggestions et des commentaires reçus. Dans une perspective de collaboration indispensable à l’amélioration du bien-être de chaque enfant, le partenariat parents/écoliers/personnels scolaires devient le fil conducteur de cette démarche de promotion de la santé, c’est-à-dire, l’apprentissage de la gestion du stress au quotidien. Cette préoccupation partagée reconnaît l’importance d’établir des rapports de coopération entre tous les acteurs tout en respectant les champs de compétence respectifs. En 1995, le ministère de l’Éducation du Nouveau-Brunswick décerne à l’école le prestigieux Prix d’excellence dans l’enseignement. Cette reconnaissance venait mettre en évidence la contribution de cette démarche novatrice en vue de la promotion de la santé et d’une meilleure qualité de vie en milieu scolaire.
Des études de deuxième et de troisième cycles prenant en compte cette expérience vécue contribuent à la reconnaissance, par la communauté scientifique, de cette démarche en milieux scolaire et familial. Des articles publiés dans des revues arbitrées soutiennent la scientificité de cette approche tout en reconnaissant l’apport d’un horizon méthodologique encore peu connu en éducation, la phénoménologie. De plus, des présentations dans le cadre de colloques scientifiques et professionnels sont proposées au niveau canadien et international, principalement en Hollande, au Maroc, à Paris et en République Tchèque. Un point culminant qui mérite d’être souligné est certes la présence de la seule équipe canadienne qui a présenté au colloque World Association of Lesson Studies 2007 qui se tenait à Hong Kong et à Shenzhen en Chine. Être dans l’arène scientifique avec une directrice d’école et deux enseignantes du primaire est tout un privilège pour une chercheure en éducation. Sur cette scène mondiale, nous avons témoigné d’un effort collectif qui visait l’amélioration du bien-être des enfants tout en favorisant un apprentissage fécond. En tant que seules représentantes du Canada, notre présence a été médiatisée et a permis des échanges fructueux avec des collègues de plusieurs pays. En 2007, plusieurs des stratégies initiées dans ce projet en gestion du stress appuient les objectifs émis dans les plans provinciaux du ministère de l’Éducation (Les enfants au premier plan), du ministère de la Santé (Un avenir en santé) ainsi que du ministère du Mieux-être, de la culture et du sport (Stratégie provinciale du Mieux-être).
S’inspirant du « Projet en gestion du stress chez l’enfant de l’école Notre-Dame », et avec l’appui des autorités du District scolaire 03, un projet de partenariat novateur université/district scolaire/santé publique est lancé aux vingt écoles primaires et secondaires du territoire. Sous le thème, « Ensemble, bâtissons une école efficace », la planification triennale 2009-2012 proposée par le District scolaire 03 mise sur un climat permettant des apprentissages de qualité dans un environnement sain. Spécifiquement, il est énoncé, qu’en juin 2012, 100 % des écoles du district auront des stratégies encourageant la gestion du stress. Des infirmières rattachées au Conseil consultatif de santé du district (CCSD) pilotent le dossier. Ce programme de formation en gestion du stress s’adresse aux membres des différents personnels scolaires et aux parents intéressés désignés comme des « formateurs ». En s’appuyant sur la formation reçue, les « formateurs » deviennent des «multiplicateurs» auprès des pairs. En octobre 2011, quelque 5948 écoliers de la maternelle à la douzième année dispersés dans les 20 écoles du District scolaire 03 ont bénéficié de cette initiative locale.
Le déploiement du projet au fil des années favorise la mise en place de partenariats institutionnels, de collaborations avec des praticiens du terrain et de la communauté, des étudiants en formation des maîtres, d’organismes locaux qui inspirent d’autres écoles. Particulièrement, des projets pilotes sont démarrés dans des écoles francophones et anglophones du Nouveau-Brunswick. Cette démarche est aussi soutenue par le programme du Fonds d’innovation en apprentissage (FIA), initiative du plan d’éducation du gouvernement qui vise à améliorer le système d’éducation du Nouveau-Brunswick en appuyant les équipes scolaires et en les aidant financièrement à réaliser des projets novateurs qui pourront être partagés et utilisés dans les autres écoles de la province.
C’est ainsi, qu’en septembre 2012, plus de 150 intervenants divers (personnel enseignant, membres de la direction, conseillères en préscolaire, gestionnaires en santé publique, mentors, agentes culturelle et communautaire, intervenantes en santé mentale, adjointes administratives, parents, mentors en transition à la maternelle, professeurs à l’Université de Moncton, consultantes en mieux-être, stagiaires en éducation, psychologues et conseillers en orientation), sont devenus des « formateurs » en gestion du stress et poursuivent le mandat d’offrir dans leurs écoles respectives dispersées à travers le Nouveau-Brunswick des outils en gestion du stress.
Ces recherches diverses s’appuient sur une expertise locale (trio parents/élèves/personnels scolaires) en suivant un processus « bottom-up ». Spécifiquement, celles-ci reposent sur une démarche de participation et de consultation locale, permettent l’expression et la prise en compte des besoins, des demandes, des attentes des personnes concernées. Par le fait même, ce projet a favorisé un engagement avec des acteurs et des secteurs qui ne font pas directement partie du champ de la santé ou de l’éducation et avec lesquels des politiques scolaires ont été proposées, entre autres, comme solution concertée à l’amélioration de la qualité de vie. Ces voix ont permis en quelque sorte de créer du « nouveau » en « transformant les différences en complémentarités fécondes ».
Le programme de « formation du formateur en gestion du stress en milieu scolaire » récolte d’ailleurs en 2010 la distinction de « pratique exemplaire » d’Agrément Canada décernée au Réseau de santé Vitalité du Nouveau-Brunswick. Lors d’une entrevue qu’elle accordait à un journaliste à l’annonce du prix, la directrice adjointe de la Santé publique, précise : «…cette initiative est la seule pratique exemplaire dans les quatre zones qui ait retenu l’attention d’Agrément Canada. Cette pratique novatrice, qui s’efforce d’atteindre l’excellence dans la promotion de la santé auprès des écoliers, fait preuve d’audace par sa dimension de partenariats multiples ainsi que par la présence d’une chercheure au sein de l’équipe ».
Pour avoir démontré son intérêt soutenu pendant vingt cinq ans dans la promotion de la santé par une gestion saine du stress, pour avoir fait preuve d’une créativité et d’une initiative exemplaires en intervenant en partenariat pour améliorer et promouvoir la santé chez les écoliers, pour avoir travaillé bénévolement à instaurer des changements qui ont amélioré positivement et à long terme l’état de santé de milliers d’enfants, d’ici et d’ailleurs, l’école Notre-Dame décroche, en novembre 2012, le prestigieux prix national de reconnaissance remis par la Société Santé en français. Un des mandats de la Société Santé en français est de favoriser les complémentarités, les regroupements, les mises en commun et les partenariats à l’échelle nationale, de même que faciliter l’échange d’information et la coordination des efforts.
C’est d’ailleurs suite à l’obtention de ce prix, qu’en avril dernier, le ministre de l’Éducation et du Développement de la petite enfance, l’Honorable Jody Carr et la ministre du Développement social, l’Honorable Madeleine Dubé, viennent rencontrer sur place, dans les classes de l’école Notre-Dame, les nombreux acteurs. La presse titre la nouvelle : « Le gouvernement du N.-B. impressionné par le programme de gestion du stress en milieu scolaire ». L’alliance du District scolaire francophone du Nord-Ouest (DSF-NO) avec le Conseil consultatif de santé et l’Université de Moncton, campus d’Edmundston s’affiche comme un modèle à suivre, comme une plateforme de collaboration, d’influence et d’action en complémentarité des efforts des gouvernements pour la mise en œuvre de la gestion du stress dans toutes les écoles francophones et anglophones de la province.
5) Décrivez en quelques phrases l’importance du Réseau de recherche sur les politiques sociales du Nouveau-Brunswick.
Dans mon cheminement professionnel, la dimension de « partenariat » s’inscrit comme une force convergente. Mes études en gestion du stress permettent de saisir que la recherche est un maillon indispensable mais qui doit s’intégrer dans la grande toile du savoir en redonnant une place aux autres acteurs qui habitent et donnent vie aux milieux de pratique, c’est-a-dire les écoles, la famille, les directions et les gouvernements. Je souscris au partage des résultats scientifiques comme des « expertises ». Comme chercheure, je me réjouis de voir que les résultats de recherches deviennent accessibles dans les lieux de pratiques, servent d’instruments de travail, alimentent la réflexion sur les terrains de l’éducation et de la santé, entre autres, tout en soutenant des partenariats féconds avec les multiples partenaires d’horizons variés. De cet angle, un réseau interdisciplinaire comme le « Réseau de recherche sur les politiques sociales du Nouveau-Brunswick » peut agir comme passerelle entre les différents champs d’expertise sollicités tout en reconnaissant la crédibilité des experts en provenance de la province.
6) Souhaitez-vous ajouter d’autres renseignements ou une anecdote offrant un intérêt particulier, ou peut-être encore une touche personnelle, quelque chose auquel les lecteurs ne s’attendraient pas?
L’expression «la recherche me coule dans les veines » décrit mon rapport avec l’activité scientifique. Ma passion pour l’étude du stress déborde le simple engagement intellectuel. Mon travail de recherche ne s’inscrit pas en parallèle, mais se tisse plutôt à ma vie de professionnelle, de chercheure, de professeure, de parent et de femme. Je fais souvent allusion à une métaphore pour décrire ces liens indissociables : j’ai la spécialité de la « maille dans le tricot ». De recherche en recherche, j’apprends comment tisser plus serré les liens entre la vie intellectuelle et la vie quotidienne familière tout en me tenant solidairement avec les autres. Suite à de multiples partages/échanges sur les scènes régionale, nationale, internationale et mondiale, c’est une passion qui est devenue indissociable de ma vie et de mon rapport avec toutes les personnes que je côtoie ou que je croise. Ce champ de recherche que j’arpente encore aujourd’hui avec émerveillement n’est pas seulement développé pour répondre à des exigences universitaires mais au-delà de tout, s’inscrit comme un projet de vie susceptible de contribuer à l’amélioration de la qualité de vie et du bien-être de tout humain. En fait, j’offre cet apport comme ma minime contribution, ma » goutte » déposée dans « l’océan de la connaissance ».