Selma Zaiane-Ghalia
1) Quel poste occupez-vous présentement et quel est votre titre officiel?
Professeure agrégée à l’École de kinésiologie et de loisir, Faculté des Sciences de la santé et des services communautaire à l’Université de Moncton.
2) Quelle formation avez-vous reçue?
J’ai obtenu mon doctorat en Lettres et Sciences humaines, spécialisé en géographie physique et humaine, aménagement, urbanisme, en 2002 à l’université Aix Marseille I, Aix-en-Provence, en France, dans le cadre duquel j’ai présenté un travail de thèse sur la thématique du tourisme et des loisirs dans les parcs nationaux tunisiens, sous la direction du professeur Gérard Richez (devenu expert auprès de Parcs Canada).
En 1996, j’avais obtenu un diplôme d’études approfondies (DEA) en espaces méditerranéens et relations nord-sud, au sein de la même université française, et ce, après avoir obtenu un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en gestion hôtelière et touristique de l’Institut des hautes études commerciales de l’Université de Carthage, en Tunisie, en 1992, ainsi qu’une maîtrise en marketing de l’Institut supérieur de gestion de l’Université de Tunis, en Tunisie, en 1990 et un diplôme de technicien supérieur en gestion, en 1988 de la même institution universitaire.
3) Parlez-nous un peu de votre parcours professionnel. D’où vient votre passion pour la recherche ou le travail que vous faites et comment s’est-elle développée?
Avant de venir au Canada en 2010, j’avais œuvré dans le domaine de la fonction publique, en Tunisie, depuis 1992, parallèlement à l’enseignement universitaire entamé en 1997, en tant que chargée de cours (1997 à 2010).
Mon activité professionnelle principale a été alors dans le domaine administratif de la protection de l’environnement (Étude d’impact environnemental, suivi de grands projets d’aménagement touristiques, projets en lien avec les aires protégées, etc.) au sein de l’agence nationale de protection de l’environnement (ANPE). Puis j’ai rejoint l’agence nationale de mise en valeur du patrimoine et de promotion culturelle (AMVPPC), sous tutelle du ministère de la culture, où j’ai été en charge de la communication au sein des musées et du patrimoine culturel plus largement (sites archéologiques ouverts au public), ayant eu la chance de suivre le projet d’agrandissement du musée national du Bardo, le plus important musée au monde au niveau de sa collection de mosaïques.
Parallèlement à mes responsabilités administratives, j’ai toujours continué à enseigner et à faire de la recherche. Mes étudiants et étudiantes ont donc pu bénéficier d’enseignements théoriques mais aussi pratiques. Ils et elles ont ainsi pu découvrir la réalité du monde du tourisme et des loisirs, de la protection de l’environnement naturel et du patrimoine culturel et de leur valorisation.
Mais vous me demandez d’où me vient ma passion pour le travail que je fais. Elle me vient fort probablement des activités associatives auxquelles j’ai pu prendre part lors de mes premières années d’université. J’avais rejoint le Club des amis des oiseaux en 1986 (où j’ai mis en place ultérieurement le Mini club d’ornithologie – MCO – pour les plus jeunes fin des années 1990) et nous avions des sorties de découverte des milieux naturelles presque à chaque fin de semaine dans le cadre du Groupe Tunisien d’Ornithologie (GTO) (http://www.aao.org.tn/index.php/a-propos-de-aao). J’avais aussi pris part à deux stages d’ornithologie d’une semaine chaque, fin des années 80, durant lesquels, du matin au soir, nous étions dans la nature à observer les oiseaux, leur milieu de vie, à les compter, à lire les bagues que certains pouvaient porter, etc., toujours une paire de jumelles sur le nez ou un œil concentré sur le télescope. Ces activités ont renforcé mon amour pour la nature. C’est ainsi que j’ai choisi de faire mon premier travail de recherche, ma thèse de maîtrise en marketing, sur le marketing zoologique, une première à cette époque, en travaillant sur l’optique éventuelle de la privatisation du parc zoologique de Tunis. Dans le cadre de mon travail, j’avais envoyé un questionnaire, traduit en quatre langues, à plus d’une centaine de parcs zoologiques dans le monde (USA, Russie, Australie, Pays d’Europe, etc.), les cinq continents avaient été prospectés, en vue de voir les différentes façons de gérer les parcs zoologiques et animaliers. Parallèlement j’avais effectué un travail de recherche historique pour comprendre comment sont apparus ces espaces et comment était né notre parc zoologique. C’est peut-être à cette période qu’avait grandi en moi l’intérêt pour les recherches historiques sur le patrimoine et la culture.
L’industrie du tourisme étant un pilier de l’économie tunisienne, c’est tout naturellement que je me suis intéressée à ce secteur. En joignant ma passion pour la conservation de la nature, j’ai cherché à pouvoir continuer des études et la recherche sur un tourisme responsable et durable. C’est ainsi que j’ai effectué mon second travail de recherche universitaire (DESS, 1992) sur le tourisme écologique et l’écotourisme au sein du parc national de l’Ichkeul, un site classé sur trois listes internationales pour sa beauté et l’exceptionnelle richesse de son écosystème lacustre qui constitue un site unique de migration des oiseaux (http://whc.unesco.org/fr/list/8/). Dans le cadre de ce travail, j’ai encore une fois débordé sur un aspect historique et archéologique en mettant l’accent sur l’importance de considérer tant le patrimoine naturel que culturel du site en vue d’une mise en conservation et d’une mise en valeur touristique optimum et durable. Mon travail de recherche sur le tourisme et les loisirs dans les parcs nationaux tunisiens m’a accompagné jusqu’à ma thèse de doctorat (http://www.theses.fr/2002AIX10093 ) et m’a permis de publier, en 2004, mes réflexions et mes résultats au niveau d’un ouvrage qui a obtenu le Prix Zoubeida B’chir du CREDIF, décerné pour la première fois en 2005 pour récompenser un travail de recherche scientifique effectué en langue française.
Je dois aussi dire que mon intérêt pour l’histoire et l’archéologie m’ont amené à rejoindre des comités d’experts. J’ai été membre, et même secrétaire générale du comité tunisien de l’ICOMOS (conseil international des monuments et des sites, de l’UNESCO), ainsi que de l’ICOM (conseil international des musées, de l’UNESCO). Et dans le cadre de mon travail au sein de l’agence nationale de protection de l’environnement, j’ai eu l’opportunité d’être responsable du point focal du programme de l’homme et de la biosphère (le programme MAB de l’UNESCO). Ceci n’est qu’un petit aperçu de la richesse des expériences professionnelles que j’ai eu la chance de vivre, et qui enrichissent mes réflexions en tant que chercheure et me permettent de transmettre des connaissances de grand intérêt aux étudiantes et étudiants que j’ai le privilège d’avoir à mes cours.
Je suis au Nouveau-Brunswick depuis la fin de l’année 2010, en tant que résidante permanente. En suivant ma démarche d’enseignement mise en place en Tunisie, j’ai bâti de nouveaux contacts professionnels pour pouvoir offrir à mes étudiantes et étudiants, ici aussi, des occasions d’ouverture sur le monde réel, et leurs donner l’opportunité d’avoir une formation riche et motivante, combinant la théorie et la pratique.
Un des derniers projets que j’ai eu la chance de réaliser en Tunisie avant de venir habiter au Nouveau-Brunswick, a été d’organiser des activités culturelles pour des personnes à besoins spéciaux, afin de leur permettre la visite du musée national du Bardo (personnes à mobilité réduite, personnes malentendantes, personnes âgées, etc.). C’est donc tout naturellement que j’ai accepté, en juillet 2011, d’offrir les cours relatifs au loisir inclusif (GLST2300), au loisir thérapeutique (GLST2301), au loisir et personnes âgées (GLST3312) et au loisir et culture (GLST2411), à l’université de Moncton, campus de Moncton, à l’école de Kinésiologie et de loisir, qui est rattachée à la Faculté des sciences de la santé et des services communautaires.
J’ai beaucoup apprécié le lien entre la santé et les loisirs. Et mon souhait est qu’un jour on puisse voir des médecins de famille du Nouveau-Brunswick, prescrire des activités de loisir en prévention et en thérapie et que le système de santé prenne en charge les sessions. C’est déjà le cas dans d’autres pays.
4) Parlez-nous d’un ou deux de vos projets actuels.
C’est bien que vous limitez votre question à un ou deux projets 😉
Car en termes de nombre de projets de recherche au niveau personnel, j’en ai plusieurs et encore plus au niveau des idées de futurs projets d’intérêt certain.
- L’incubateur, l’Art pour le mieux-être de personnes à besoins spéciaux
Je vais commencer par le premier, car c’est celui que j’ai initié en premier au Nouveau-Brunswick, mais c’est aussi celui qui m’a beaucoup apporté sur le plan humain. C’est un projet que j’ai réalisé avec la collaboration d’un grand artiste d’ici, Mario Cyr, que beaucoup connaissent déjà par l’importance de ses œuvres, mais aussi par la singularité de leur processus de création. J’ai rencontré Mario Cyr, un soir lors d’un spectacle au Théâtre Capitol. Il m’avait alors parlé rapidement de son processus de création L’Incubateur, et j’ai tout de suite pensé au projet que nous avons ensuite réalisé en 2011-2012. Il s’est agi tout simplement d’offrir l’opportunité de vivre l’Incubateur, à des personnes habitant une même résidence pour personnes à besoins spéciaux. Je vous passe les détails du processus, mais je vous résume ici l’essentiel. Les résidentes et résidents ont vécu une première session d’Incubateur telle que Mario Cyr l’offre habituellement à diverses personnes (http://mariocyr.com/oeuvre-l-histoire-du-secret), puis durant les deux sessions suivantes, c’est eux qui ont pris la place de l’artiste à tour de rôle. Malgré leurs défis de santé, elles et ils ont apprécié peindre avec des outils professionnels une œuvre suivant le processus créatif mis en place par l’artiste Mario Cyr dans le cadre de sa démarche professionnelle personnelle. L’objectif était d’accroitre le mieux-être de ces résidentes et résidents et le projet y est parvenu, au point que, initialement prévu pour les résidentes et résidents francophones, les anglophones ont demandé à pouvoir participer aussi. Avec l’aide financière de la résidence, deux autres ateliers ont alors été gracieusement offert par l’artiste à un groupe de personnes résidentes anglophones. Il faut préciser que l’activité artistique a constitué un excellent médiateur entre les résidentes et résidents qui ont alors appris à se connaitre et il n’y avait plus de barrière linguistique lorsque les sentiments d’empathie et de sympathie se sont spontanément exprimés. Ce projet a pu se concrétiser principalement grâce au soutien financier et logistique de la boutique Art Shack (http://www.artshack.ca/about) et à la grande disponibilité et générosité humaine de l’artiste Mario Cyr (http://mariocyr.com/a-propos-de-l-incubateur).
Les œuvres réalisées par les résidentes et résidents ont été fièrement accrochées dans le corridor principal de leur résidence à l’occasion de la rencontre familiale de Noël 2011 pour le premier groupe francophone. Certaines de ses œuvres sont publiées dans le dernier numéro du Magazine d’art et de culture de Moncton, le Golden Ratio Magazine de juin 2016 (https://www.facebook.com/goldenratiomagazine/).
Ce projet est une réussite sur plusieurs plans. Il a permis à des personnes à besoins spéciaux de vivre des moments exceptionnels d’échanges humains et de créativité artistique, mais il a aussi permis aux étudiantes et étudiants qui ont pris part au projet de mieux se découvrir (sortir de leur zone de confort) et de découvrir de plus près leur communauté. Grâce à la participation de tous les partenaires au projet, je peux définitivement dire que c’est un projet de recherche communautaire concret, qui gagnerait à être démultiplier. Il permet non seulement de faire avancer les connaissances scientifiques dans le domaine des sciences humaines et du mieux-être, de la santé individuelle et sociétale, mais il permet aussi aux jeunes étudiantes et étudiants d’aborder concrètement la réalité d’un milieu de travail potentiel (les résidences pour personnes à besoins spéciaux et pour personnes âgées), de voir comment il est possible de réaliser des activités de loisirs complexes et combinées en faisant appel à différents partenaires de la communauté pour offrir une opportunité de mieux-être aux résidentes et résidents.
Ce projet peut aider à faire évoluer les politiques sociales en matière de prise en charge des personnes à besoins spéciaux et des personnes âgées dans notre province en mettant plus de moyens logistiques, humains et financiers pour valoriser et maximiser l’offre active d’activités de loisir thérapeutique, sachant que plusieurs études démontrent largement les bienfaits des loisirs sur la santé, permettant une réduction du recours à une médication parfois excessive et dispendieuse. C’est aussi l’occasion de reconnaitre l’importance professionnelle de nos étudiantes et étudiants diplômés en loisir à l’université de Moncton, par le domaine de la santé.
- Services de Soutien pour l’Autisme au Nouveau-Brunswick : www.ssanb.com
Le projet de mise en place d’un site web pour optimiser l’accessibilité aux services pour les personnes ayant un TSA (trouble du spectre autistique) et leurs proches aidants fait partie d’un projet plus large initié en 2013, Soutien à l’autonomisation d’adolescents et de jeunes adultes francophones du Sud-Est du Nouveau-Brunswick évoluant avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA) par le biais d’activités de loisirs. Il s’agit d’une étude exploratoire fort utile puisqu’elle fait état des besoins des adolescents et jeunes adultes autistes francophones du Nouveau-Brunswick et des services actuellement disponibles. De plus, elle permet une meilleure compréhension de la réalité que vivent les jeunes ayant un TSA et aide à anticiper les services qui sauront mieux répondre à leurs demandes. Le volet relatif au site web a été présenté pour la première fois au grand public en janvier 2014 (http://www.umoncton.ca/nouvelles/info.php?id=14024#.V2f8B6LNl0k).
Initialement, parallèlement à un travail d’enquête auprès de parents et de jeunes sous le spectre de l’autisme, le projet avait commencé par un inventaire exhaustif des services de soutien à l’autisme dans la région du Sud-Est du Nouveau-Brunswick à travers plusieurs sources (internet, brochures, informations radio et télévisées, information des parents et proches aidants, etc.). Toutes les informations ont été recoupées et vérifiées avant d’être saisies sur la base de données du site web en français. Puis, vu l’intérêt exprimé par des parents anglophones à la présentation publique, nous avons décidé d’élargir nos efforts et de construire un site web bilingue et pouvant même accueillir de l’information en d’autres langues pour répondre à une population de plus en plus diversifiée au Nouveau-Brunswick, sachant que lorsqu’une personne à des difficultés de santé, c’est dans sa langue maternelle qu’elle est la plus confortable et il faut souligner et rappeler aussi, que lorsqu’une personne vit des difficultés de santé, c’est toute la famille qui les vit aussi, particulièrement lorsqu’il s’agit de l’autisme et des impacts sociaux importants qui en découle, tant pour l’individu ayant le TSA que pour sa famille (parents et fratrie). L’annonce du lancement du site web a suscité de l’intérêt et nous avons été sollicitées pour en parler sur les ondes (http://ici.radio-canada.ca/emissions/l_heure_de_pointe_acadie/2015-2016/chronique.asp?idChronique=407397). Le projet est encore en cours tant au niveau de l’enrichissement du site Web que de l’analyse des données recueillies. Toute personne qui le souhaite est invitée à contribuer à l’enrichissement de la base d’information du site web en communiquant à l’équipe du projet l’information relative aux programme/service/activité/évènement qui pourrait concerner directement ou indirectement des personnes autistes, tout âge confondu (le site web étant pour 0 à 120 ans et plus!), ainsi que leur proche aidant (famille et personne de support).
5) Comment vos recherches ou votre travail peuvent-ils contribuer, selon vous, à l’élaboration de politiques publiques fondées sur des données probantes?
Grâce à ma formation pluridisciplinaire, renforcée par mon expérience professionnelle internationale, j’ai une vision pluridisciplinaire et transdisciplinaire en matière de recherche. Je suis convaincue qu’il faut œuvrer pour former des équipes de recherche transdisciplinaire complémentaire, qui permettent d’avoir une approche écosystémique approfondie des problématiques sociales.
Dans le cadre de mes travaux de recherche antérieurs (1988 à 2009), j’ai principalement œuvré sur la question du développement touristique durable et sur la question de la valorisation des richesses patrimoniales naturelles et culturelles à travers l’écotourisme en particulier mais non exclusivement. J’ai dans ce cadre présenté plusieurs communications (plus de 35 communications) et participé à plusieurs projets dans divers pays d’Europe et de la Méditerranée (France, Angleterre, Espagne, Italie, Allemagne, Turquie, Croatie, Grèce, Jordanie, Liban, Maroc).
L’étude approfondie que j’ai réalisée sur les parcs nationaux tunisiens entre 1990 et 2002 est devenue une référence non seulement en Tunisie mais pour d’autres pays (j’avais été invitée en Espagne par l’IUCN – Union internationale pour la conservation de la nature, organe conseil de l’UNESCO, pour présenter les résultats de mes travaux dans le cadre d’un cours offert aux gestionnaires des espaces naturels protégés). Et je trouve cela fort intéressant qu’alors que moi-même j’avais beaucoup étudié le système de gestion des parcs canadiens (Parcs Canada), dans le cadre de mes travaux, en bout de ligne ce sont les résultats de mes travaux de recherche sur les parcs nationaux tunisiens qui sont utilisés pour une comparaison avec la situation canadienne par Nathalie Charland, dans le cadre de son travail “The Process of the Establishment of National Parks in Northern Québec. For a Strategic Vision of the Land”, et qui a été présenté dans le cadre de l’obtention de son « Degree of Master of Science, Non-Thesis, Option in Environmental Assessment, NRSC 616 – Environmental Assessment Department of Natural Resource Sciences, Faculty of Agricultural and Environmental Sciences Macdonald Campus – McGill University, en 2007.
Les cartes géographiques que j’avais réalisées ont ensuite été utilisées par le Ministère de l’agriculture tunisien pour ses différentes publications sur les parcs nationaux. Plusieurs des recommandations que j’avais présentées ont été retenues à haute instance. Et depuis la réalisation de mon premier travail de recherche (1992) on avait alors commencé à accorder plus d’importance dans le recueil de données statistiques sur les entrées des visiteurs au niveau des espaces protégés en Tunisie. Mes travaux ont été les premiers à présenter les données statistiques sur les visiteurs des parcs nationaux en fonction de plusieurs variables qui permettent des prises de décisions éclairées au niveau des aménagements et de la gestion de ces espaces protégés fragiles. Je dois aussi fièrement ajouter que j’ai été la première femme à effectuer un travail de recherche universitaire au niveau des parcs nationaux tunisiens. Ces espaces étant la chasse gardée d’un corps forestier exclusivement masculin, j’ai dû travailler fort pour convaincre le directeur général des forêts à l’époque et son sous-directeur (encore plus sceptique), de mes capacités et de l’intérêt futur des résultats de mes travaux de recherche.
Un autre exemple de recherche effectuée et dont les résultats ont été utilisés pour des prises de décisions publiques, est celui effectué sur le musée national du Bardo intitulé : Le musée national du Bardo en métamorphose – Pour une nouvelle image du tourisme culturel tunisien et de nouveaux visiteurs (Selma Zaiane, « Le musée national du Bardo en métamorphose », Téoros [Online], 27-3 | 2008, Online since 07 April 2010, connection on 20 June 2016. URL : http://teoros.revues.org/69 ). Les experts qui avaient réalisé l’étude d’extension du musée n’avaient pas tenus compte de l’aménagement extérieur relatif au besoin d’extension des espaces de stationnement au vue de l’accroissement attendu des visiteurs. Mon travail de recherche qui a souligné cet aspect a alors été pris comme référence pour une révision des décisions publiques.
Je viens juste de commencer mes nouveaux travaux au Nouveau-Brunswick et je reste confiante qu’ils vont aussi avoir un impact positif sur les prises de décisions publiques futures. Il y a beaucoup de belles choses que nous pouvons faire ensemble pour diminuer les déficits publiques dans le domaine de la santé au Nouveau-Brunswick et faire que les habitants de cette belle province soient plus en santé quel que soit leur âge.
En rejoignant l’École de kinésiologie et de loisir en juillet 2011, j’ai capitalisé mes acquis, mes connaissances et mon expérience, pour les adapter au territoire du Nouveau Brunswick et aux réalités canadiennes. Compte tenu des sujets des cours qui m’ont été assignés et au regard des besoins de l’École de kinésiologie et de loisir, j’ai été amené à réorienter mes domaines premiers de recherche. J’ai toutefois gardé mon approche scientifique, interdisciplinaire, orientée vers une coopération pluridisciplinaire, où le regard porté sur le problème est orienté à 3600 par le biais d’une approche écosystémique des questions. Plus particulièrement, je m’intéresse à la question des loisirs pour les personnes à besoins spéciaux et les personnes âgées, mais aussi aux loisirs dans une optique thérapeutique, à moyen et long termes.
Par ailleurs, ne délaissant pas pour autant mes premiers domaines de recherche et d’intérêt, je poursuis mes réflexions et recherches sur le tourisme et la médiation culturelle autant au niveau tunisien qu’au Nouveau-Brunswick. Ainsi, je peux dire qu’actuellement trois sphères majeures de recherches sont visées :
- La valorisation des richesses patrimoniales naturelles et culturelles à travers le tourisme et les loisirs;
- Les loisirs thérapeutiques, leur mise en valeur pour les personnes à besoins spéciaux;
- La diversification des loisirs actifs et épanouissants pour les personnes aînées.
En ce qui a trait au Nouveau-Brunswick, par exemple, je peux dire qu’il faut encourager à plus de sport oui, pour contrer les problèmes de surpoids par exemple, mais pas nécessairement à un niveau compétitif. Or il me semble que l’on met un peu trop l’accent sur la compétition (voir article – FORBES, Marie-Line; KENNEDY, Greogry; ZAIANE-GHALIA, Selma. La promotion du mieux-être par l’activité physique en milieu minoritaire : l’Institut de leadership de l’Université de Moncton, 1969-1989. Acadiensis, [S.l.], may 2016. ISSN 1712-7432. Available at: <https://journals.lib.unb.ca/index.php/Acadiensis/article/view/24579/28515>. Date accessed: 20 june 2016.), ce qui peut enlever le goût de se joindre à une équipe sportive, voire même constituer un frein sur le plan financier. La marche dans la nature peut être une activité physique saine à encourager. Elle apporte plusieurs bénéfices aux participants leurs permettant non seulement d’être en meilleure santé physique, mais aussi spirituelle et intellectuelle, en apprenant de nouvelles choses sur l’environnement qu’ils visitent et sur son histoire. Cette activité réalisée en groupe offre aussi l’opportunité de créer des liens sociaux. Nous avons vraiment plusieurs richesses à découvrir et faire découvrir au Nouveau-Brunswick pour toutes les générations en créant des liens intergénérationnels qui permettraient ainsi aux personnes âgées en résidence de briser un certain isolement et une solitude qui pèse pour certaines personnes.
Nous gagnerions beaucoup plus encore au Nouveau-Brunswick si des politiques publiques soutiendraient une plus large diversification des activités de loisirs pour tous et en particulier pour les personnes aînées qui se retrouvent isolées au niveau résidentiel, par manque de moyens des gestionnaires des résidences privées parfois, par manque de moyens de transport d’autres fois, mais surtout à cause d’une absence flagrante de coordination des efforts, de la logistique et des activités offertes aux différents emplacements, par des structures externes aux résidences.
Il y a plusieurs projets de recherche-action que nous pouvons effectuer au Nouveau-Brunswick afin que la recherche puisse appuyer des initiatives communautaires qui œuvrent pour le mieux-être de la population et qui soutiennent une démarche d’économie saine et durable pour la province. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de répéter ou de multiplier des ‘projets pilotes’ qui restent sans suite et qui ne font qu’augmenter la dette de la province. Une dette lourde que les générations futures auront à payer !
6) Décrivez-nous certaines de vos réalisations passées qui ont été importantes dans votre cheminement professionnel. Ont-elles contribué à promouvoir des politiques publiques fondées sur des données probantes?
J’ai peut-être déjà répondu en partie à cette question (voir ma réponse à la question 5).
Pour revenir à ma période tunisienne, oui mes recherches sur les parcs nationaux tunisiens ont été non seulement importantes au niveau de certaines décisions politiques publiques ultérieurement prises, mais elles ont été surtout une ouverture pour mon cheminement professionnel. En effet, je pensai œuvrer professionnellement dans le domaine touristique, ayant travaillé au sein de deux agences de voyages, ayant été concernée par le domaine hôtelier et ayant effectué un stage d’été au sein de l’administration en charge du tourisme, l’office national du tourisme tunisien (ONTT), sous tutelle du Ministère du tourisme et de l’artisanat. Je pensai donc que je poursuivrai ma carrière professionnelle directement dans ce domaine. Or, il s’est trouvé que mon directeur de recherche au DESS (1992), avait invité le Président directeur général de l’agence nationale de protection de l’environnement (ANPE) dans le cadre de mon jury et, à la fin de ma soutenance, ce dernier m’a invité à venir le voir la semaine suivante. Lors de la rencontre, il m’a demandé de joindre sa nouvelle jeune équipe d’ingénieurs à l’ANPE, agence sous tutelle alors du Ministère de l’environnement et du développement durable. Il me demandait d’être en charge des dossiers relatifs aux projets concernant les aires protégées et le secteur touristique. Je n’ai pas osé refuser! Et j’ai donc participé à la mise en place des termes de référence relatifs aux études d’impact environnementales des projets touristiques (EIE). Ensuite, de par mes responsabilités administratives, j’ai eu l’opportunité de contribuer à la mise en place de diverses politiques publiques environnementales en lien avec les aires protégées et le tourisme entre autres, et j’ai poursuivi à une moindre échelle des recherches sur les visiteurs des parcs ainsi que sur les loisirs en milieu naturel et culturel (la Tunisie étant un pays riche en sites archéologiques et en lieux historiques, chaque parc national renferme aussi un important patrimoine historique et archéologique).
Pour ce qui est du Nouveau-Brunswick, je vais peut-être me répéter en disant que mon apport au Canada et au Nouveau-Brunswick est récent, vue que je suis membre du corps professoral de l’université de Moncton seulement depuis juillet 2011.
Toutefois, depuis mon arrivée dans cette magnifique province, où il fait bon vivre, je n’ai cessé de contribuer activement au sein de ma communauté. C’est ainsi que, par exemple, j’ai fait partie du Comité du patrimoine de ma ville, la ville de Dieppe (depuis octobre 2010), présidé par Jean Gaudet, et avec les membres du comité, des personnes dévouées et passionnées par le patrimoine acadien, nous avons contribué à la mise en place de la politique du patrimoine de la ville de Dieppe. J’ai aussi fait partie du comité des personnes aînées de la ville de Dieppe au sein duquel j’ai contribué à la mise en place de la politique des aînées et aussi à un beau projet de Jardins communautaires qui permet des rencontres intergénérationnelles au parc Saint Anselme. Même s’il n’y avait pas directement de notion de recherche de données probantes, l’apport et le regard d’une universitaire a été apprécié par les membres des deux comités.
7) Décrivez en quelques phrases comment vous avez participé aux activités du RRPSNB et comment votre relation avec le Réseau a contribué à votre travail ou à vos recherches et/ou aux politiques sociales/économiques.
L’été 2012, j’ai été sollicitée par le Défenseur des enfants et de la jeunesse par intérim, Christian Whalen, pour participer à l’organisation du cours d’été sur les droits de l’enfant. Le Groupe de travail sur les droits de l’enfant dans l’espace francophone, en collaboration avec le Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes, et l’Université de Moncton présentaient alors le premier Cours d’été relatif aux droits de l’enfant portant sur l’article 31 de la Convention relative aux droits des enfants: Le droit au repos et aux loisirs, au jeu, à des activités récréatives et de participer librement à la vie artistique et culturelle (http://www.umoncton.ca/droitsdelenfant/archives2012). C’est à ce moment que j’ai pris connaissance de l’existence du réseau de recherche sur les politiques sociales du Nouveau-Brunswick, que j’ai rejoint la même année à l’automne 2012. J’avais pris part alors à une première rencontre et j’ai trouvé très importante la mission du RRPSNB qui vise à appuyer les politiques publiques fondées sur des données probantes en établissant des liens entre ceux qui prennent des décisions, ceux qui effectuent des recherches, les organisations non gouvernementales et les citoyens du Nouveau-Brunswick. Cela rejoignait fort bien ma façon de travailler depuis les années 1990. Aussi je trouve très important d’impliquer les organismes communautaires autant que les citoyens en tant qu’individu non nécessairement membre d’une organisation spécifique mais ayant des idées à apporter. Dans ce cadre plus d’étudiantes et étudiants devraient être encouragés à se joindre au RRPSNB.
Le RRPSNB m’a permis de rencontrer de nouvelles personnes, d’échanger des idées, mais aussi de présenter mes projets de recherche et de les promouvoir à l’occasion des rencontres et forum.
Pour le moment je n’ai pas encore valorisé tous les potentiels du réseau, mais cela ne tardera certainement pas à se faire.
8) Auriez-vous quelque chose à ajouter, un mot de la fin?
Enseigner est un grand privilège, un honneur et un grand plaisir pour moi, cela complète indispensablement mes travaux de recherche. C’est le devoir de transmettre non pas uniquement un savoir, mais surtout un savoir-faire. Enseigner c’est stimuler et intéresser les étudiantes et étudiants à leur domaine de spécialisation, lequel, judicieusement abordé, permet de développer la créativité de nos jeunes et de bien les préparer au monde de l’emploi.
Mais enseigner c’est aussi transmettre aux étudiantes et étudiants des données à jour et les faire participer à l’évolution des connaissances et voire même à la recherche de données nouvelles. C’est dans ce sens qu’autant que cela m’est possible, je fais participer mes étudiantes et étudiants à mes projets de recherche, afin qu’ils puissent bénéficier des apprentissages, mais aussi afin de leurs donner le goût à la recherche et pourquoi pas, de leurs transmettre la passion de la recherche et de les encourager ainsi à continuer leurs études dans des domaines plus approfondis. Il s’agit de promouvoir un savoir-faire, un processus de réflexion, de faire naître chez les étudiantes et étudiants une indépendance dans la pensée pour une prise de décision cohérente, plutôt que de leurs communiquer simplement des données qui risquent de devenir rapidement obsolètes. Parmi nos étudiantes et étudiants il y a des futures décideurs, des personnes qui vont être responsables de prises de décisions politiques, c’est à nous professeures et professeurs de les préparer correctement à cette responsabilité sociale.
Dans le cadre de mes travaux de recherche, j’ai parfois dû changer de voie car les combats de la vie sont parfois très durs, mais mêmes si on y laisse des plumes on en apprend toujours beaucoup, ce qui nous enrichi sur le plan spirituel et personnel. On pourrait dire qu’on y gagne du duvet sans pour autant devenir plus douillet, mais plus fort mentalement et voire même physiquement en maintenant un rythme régulier d’exercice et en diversifiant les loisirs thérapeutiques ! L’important est toujours de garder vivant le plaisir de faire ce que l’on fait au quotidien et le plaisir d’offrir son savoir à sa communauté.
Merci de m’avoir invité à répondre à vos questions. Elles m’ont fait revenir plusieurs années en arrière, vers mon histoire personnelle…