Réseau de recherche sur les politiques sociales du Nouveau-Brunswick

Clive Baldwin


profilecb1) Quel poste occupez-vous présentement et quel est votre titre officiel?                                                                                                

Je suis présentement titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études narratives, professeur de travail social et directeur du Centre for Interdisciplinary Research on Narrative (CIRN) à la St. Thomas University de Fredericton.

2) Quelle formation avez-vous reçue?                                                                                                                                                               

Je détiens un B.A. et une M.A. en éducation de la University of Cambridge, au Royaume-Uni, une M.A. en travail social de la University of Leicester, un certificat de compétence en travail social, un doctorat de la University of Sheffield et un certificat de cycle supérieur en direction et en gestion de l’enseignement supérieur de la University of Bradford.  Je suis aussi diplômé en éducation et en formation des adultes.

3) Parlez-nous un peu de votre parcours professionnel. D’où vient votre passion pour la recherche ou le travail que vous faites et comment s’est-elle développée?                                                                                                                                                 

Je suppose que j’ai toujours aimé les histoires. J’adorais lire étant enfant, et même si maintenant je ne lis pas beaucoup de romans, j’aime le cinéma, en particulier les films qui racontent une bonne histoire. En grandissant, j’ai commencé à aimer les histoires d’opprimés – un goût que j’ai probablement hérité de mes parents. Plus tard, j’ai découvert les histoires de personnages inspirants tels que Joe Hill, les jésuites en Amérique latine, le mouvement des travailleurs catholiques et je voulais faire partie de ce genre de tradition. D’une certaine façon, je crois que les histoires peuvent changer le monde.

Je n’ai jamais vraiment eu de plan de carrière ambitieux. Cela dit, j’ai eu beaucoup de chance grâce aux personnes que j’ai croisées sur mon chemin et aux occasions qui m’ont été offertes. Tim Booth, mon directeur de thèse, m’a initié aux modes de pensée narratifs, et ça m’est toujours resté depuis. J’ai effectué ma recherche doctorale sur des allégations de syndrome de Münchhausen par procuration (une forme d’abus allégué à l’égard des enfants) en m’intéressant principalement aux histoires de mères qui avaient été accusées à tort ou contre lesquelles les allégations étaient très peu fondées. Je cherchais surtout à comprendre comment il se faisait que des travailleurs sociaux et d’autres puissent construire des récits de culpabilité à partir de très peu de faits probants. Depuis lors, j’ai analysé la rhétorique utilisée dans de tels cas et les techniques narratives déployées pour construire une histoire convaincante. Comme je l’ai écrit dans un article, pourquoi chercher des preuves quand on a une histoire? Par la suite, j’ai travaillé comme travailleur social pendant un certain temps avant d’obtenir un poste de chercheur post-doctoral à la University of Oxford, explorant les questions d’éthique auxquelles font face les aidants naturels de personnes atteintes de démence. Pendant trois ans, j’étais payé – et plutôt bien payé – pour parcourir le pays et écouter les histoires de soignants. Je me souviens que mon directeur spirituel m’a dit à un moment donné que se voir accorder l’occasion d’écouter les histoires des autres, c’est une invitation à pénétrer dans des lieux sacrés. Ces trois années ont été un immense privilège.

Lorsqu’on a annoncé le poste à la Chaire de recherche du Canada, j’ai pensé que mes chances étaient minces. Je postulais des emplois au Canada depuis un certain temps, mais comme je n’étais pas résident canadien, j’étais désavantagé. Toujours est-il que le poste a été annoncé, et qui peut résister à l’envie de poser sa candidature à une offre d’emploi qui disait essentiellement : « Dites-nous ce que vous souhaiteriez faire pendant les cinq prochaines années, et si ça nous plaît, nous allons vous payer pour le faire »? Encore une fois, une porte s’ouvrait devant moi, et j’occupe maintenant un poste où je peux poursuivre mes intérêts pour la narration où qu’ils me mènent. Si je n’avais pas eu cet emploi, j’envierais extrêmement la personne qui l’aurait eu.

4) Parlez-nous d’un ou deux de vos projets actuels.                                                                                                                                       

J’ai plusieurs projets en cours et en préparation. Je collabore présentement avec des collègues du CIRN à un projet sur la résilience et la narration chez les personnes âgées. Nous tentons de voir comment les histoires que les personnes âgées racontent à propos de leur vie et des épreuves qu’elles ont traversées reflètent un sens de la résilience et y contribuent. Une bonne partie du travail sur la résilience repose sur un questionnaire (Sur une échelle de 1 à X, à quel point êtes-vous résilient ou résiliente?) qui donne un portrait, mais on peut aussi apprendre d’autres choses sur la résilience en écoutant les histoires de personnes âgées. Plus d’une centaine d’adultes âgés ont rempli un questionnaire sur la résilience et environ 45 d’entre eux ont été sélectionnés pour une entrevue. Les participants ont été invités à raconter l’histoire de leur vie, à raconter comment ils ont surmonté l’adversité et comment ils voyaient leur foi (le cas échant) et leur avenir. Ce que nous constatons, c’est que le questionnaire ne permet pas de saisir certains aspects de la résilience, les aspects sociaux et interpersonnels.

Un autre projet sur lequel je travaille est une étude sur le transvalidisme – le désir de devenir invalide, ce qu’on appelle parfois le trouble identitaire relatif à l’intégrité corporelle. Certaines personnes qui ne sont pas handicapées éprouvent le très fort sentiment que quelque chose dans leur corps « fait défaut ». Ce sentiment se manifeste parfois par le désir ou le besoin de se faire amputer un membre, quelquefois d’être paralysé ou de perdre la vue ou l’ouïe. On a décrit cette condition par différents termes psychiatriques ou neurologiques selon les époques, mais aucune étude importante ne s’était penchée sur la situation des personnes qui en sont atteintes. J’ai interrogé un certain nombre de personnes qui se définissent comme « transvalides » en leur demandant de parler de leur vie, de leur compréhension de leurs sentiments, des réactions de tierces personnes, et ainsi de suite. J’ai obtenu une subvention du CRSH pour réaliser mon étude, dont l’objectif est de mieux faire comprendre le phénomène et l’expérience de devoir se négocier une identité viable malgré l’incompréhension et, parfois, l’hostilité.

5) Comment vos recherches ou votre travail peuvent-ils contribuer, selon vous, à l’élaboration de politiques publiques fondées sur des données probantes?                                                                                                                                                               

J’espère que mon étude sur le transvalidisme contribuera au débat sur l’acceptabilité de la chirurgie élective. Présentement, il est extrêmement difficile pour les personnes transvalides de trouver un moyen légal d’obtenir une intervention chirurgicale élective, et certaines se sentent obligées de recourir à des moyens non sécuritaires (opérations clandestines ou auto-amputations) pour que leur corps corresponde à la façon dont elles se voient et se sentent elles-mêmes. Une meilleure compréhension du phénomène et de l’expérience éclairera, nous l’espérons, le processus de prise de décisions concernant des questions d’éthique.

Un autre projet auquel je participe actuellement, et pour lequel je recherche des fonds, consiste à élaborer un nouveau modèle de consultation et d’engagement des citoyens dans le processus d’élaboration de politiques, en particulier en ce qui touche la question des services de soins aux patients atteints de démence. L’équipe du projet se compose d’universitaires et de représentants du gouvernement, d’organisations non gouvernementales et du RRPSNB lui-même. Ce projet vise spécifiquement à formuler des politiques publiques dans le domaine des soins aux personnes atteintes de démence à l’aide d’une approche de consultation qui part de la base. Nous sommes en voie de soumettre une demande au programme Partenariats pour l’amélioration du système de santé des IRSC et nous espérons être inclus dans le Consortium canadien sur la neurodégénérescence et le vieillissement, qui est en train de voir le jour.

6) Décrivez-nous certaines de vos réalisations passées qui ont été importantes dans votre cheminement professionnel. Ont-elles contribué à promouvoir des politiques publiques fondées sur des données probantes?                                                

Ma recherche post-doctorale a été réalisée à l’Ethox Centre de la University of Oxford et financée par l’Alzheimer’s Society du Royaume-Uni. Elle portait sur les questions d’éthique auxquelles font face les aidants naturels de personnes atteintes de démence. Ma recherche a été publiée sous les auspices des services éducatifs de l’Alzheimer’s Society et plus tard, alors que je travaillais pour le Bradford Dementia Group de la University of Bradford (R.-U.), où j’étais chargé d’enseignement en études de la démence, nous avons été consultés dans le cadre de l’élaboration de la stratégie nationale sur les démences et par la Nuffield Foundation lors de la préparation de son rapport sur les questions d’éthique que soulèvent les démences. Pendant que je faisais partie du Bradford Dementia Group, un collègue et moi avons été embauchés par la Commission for Rural Communities (la commission des collectivités rurales, un organisme quasi gouvernemental) pour élaborer un document de recherche préparatoire sur les démences et la ruralité dans le cadre de sa campagne visant à mettre en évidence les difficultés que rencontrent les collectivités rurales et à élaborer des politiques en appui aux régions rurales d’Angleterre.

7) Décrivez en quelques phrases comment vous avez participé aux activités du RRPSNB et comment votre relation avec le Réseau a contribué à votre travail ou à vos recherches et/ou aux politiques sociales/économiques.                                    

J’ai travaillé de près avec Eric Gionet, ancien directeur  des relations avec la communauté à RRPSNB, sur le projet d’élaboration d’un nouveau modèle de consultation et une politique de soins aux personnes atteintes de démence au Nouveau-Brunswick. Ses conseils, son soutien et son encadrement ont contribué de façon inestimable à façonner le projet et nous ont permis de solliciter une aide financière auprès d’un large éventail d’agences et d’individus qui ont un intérêt dans le domaine. Le RRPSNB a aidé à rapprocher les milieux universitaires et le monde de l’élaboration de politiques.

8) Auriez-vous quelque chose à ajouter, un mot de la fin?                                                                                                                         

Suis-je naïf de croire que les histoires peuvent changer le monde? Peut-être. Mais selon Tony de Mello, le plus court trajet entre une personne et la Vérité est une histoire. L’idée, me dit-on, c’est de ne pas se prendre trop au sérieux. Comme le dit de Mello : « Ça arrive à tout le monde de dire des niaiseries. Ce qui est déplorable, c’est de le faire de façon solennelle. »


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