Compte rendu : Partenariat de recherche en milieu rural : succès et défis
Compte rendu de la rencontre du mercredi 12 mars 2014
Partenariat de recherche en milieu rural : succès et defies
L’Université de Moncton Campus de Shippagan (UMCS), en collaboration avec le Réseau de recherche sur les politiques sociales du Nouveau-Brunswick, a proposé une demi-journée de discussion et de réflexion sur le rôle et les possibilités des partenariats entre chercheurs, communautés et fonctionnaires dans le cadre du développement rural.
Cette activité sous la forme d’une table ronde a permis de présenter les perspectives et les défis associés aux partenariats à partir des points de vue des chercheurs, des acteurs de la communauté et des fonctionnaires.
Les invités
Nathalie Boivin est professeure titulaire au Secteur science infirmière de l’UMCS. Elle est aussi impliquée dans la promotion de la santé et du mieux-être des communautés acadiennes et francophones du Nouveau-Brunswick. Elle a été présidente du Mouvement acadien des communautés en santé du Nouveau-Brunswick et est membre du Réseau-action communautaire de la Société santé et mieux-être en santé du Nouveau-Brunswick.
Julie Landry-Godin est la coordonnatrice du Réseau d’inclusion communautaire de la Péninsule acadienne (RIC-PA) depuis mai 2012. Le RIC-PA fait partie des 12 réseaux d’inclusion du Nouveau-Brunswick qui ont été créés par la Société d’inclusion économique et sociale pour agir sur le terrain avec des partenaires des quatre secteurs de la communauté (entreprises privées; organismes communautaires; gouvernement et citoyens). Leur mandat est de travailler avec ces quatre secteurs pour faciliter l’inclusion sociale et réduire la pauvreté.
Christine C. Paulin est candidate au doctorat en administration publique à l’Université d’Ottawa, en politiques publiques et en gestion publique. Au cours des dernières années, elle a collaboré à l’élaboration d’une politique familiale au Nouveau-Brunswick (AFPNB), à l’Initiative sur l’apprentissage (Table ronde NB2026) et à d’autres projets de participation publique pilotés par la municipalité de Dieppe.
Léo-Paul Pinet est président de la Société d’inclusion économique et sociale du Nouveau-Brunswick et directeur général du Centre de bénévolat de la Péninsule acadienne, lequel est présentement associé à deux recherches : une recherche-action avec une équipe de l’U de M (Département de sociologie/École de travail social) ainsi qu’une évaluation d’impact en collaboration avec le Centre national de prévention du crime et le Centre de recherche et de développement en éducation à l’U de M.
Cette table ronde a été animée par Vanessa Haché de VH Consultants. Le débat qui en découle a permis d’établir ce compte rendu qui se base exclusivement sur les propos tenus lors de cette rencontre. En tout une trentaine de personnes ont assisté à cet événement.
En premier lieu les chercheurs doivent pénétrer les réseaux locaux où la communauté s’exprime.
Nathalie Boivin insiste sur la nécessité de s’impliquer localement dans la communauté pour pouvoir identifier des problématiques et les prendre en compte dans ses recherches. « C’est parfois autour d’une discussion qu’une idée va germer et même parfois devenir un sujet de recherche ». Elle rappelle qu’il est important de ne pas négliger les propos des gens de la communauté qui peuvent pointer des problèmes. L’exemple qu’elle nous présente incarne cette réalité. C’est autour d’une discussion sur la santé avec une personne de la communauté que la question des difficultés de lecture de la population a émergé comme une problématique prioritaire. Il ne faut pas négliger le fait que cette intégration du chercheur dans la communauté peut être longue précise Julie Guillemot.
Il existe un besoin réel pour la communauté de rendre réalisables ses projets grâce à une légitimité scientifique garante d’un financement et d’une certaine efficacité. Les municipalités et la communauté approchent de plus en plus le monde universitaire.
Pour son projet sur la participation publique, Christine C. Paulin a bénéficié d’un partenariat avec la municipalité de Dieppe. Elle a été approchée initialement grâce à son implication citoyenne au sein de comité consultatif. Alors que ce n’est pas une pratique courante, la municipalité de Dieppe est, à travers elle, allée chercher une collaboration scientifique. Christine C. Paulin souligne le fait que la municipalité tend de plus en plus à élaborer des partenariats avec les chercheurs. Pour Léo-Paul Pinet, le partenariat entre la communauté et les chercheurs semble être une condition nécessaire à l’obtention de financement pour certains projets. La communauté devient alors le trait d’union entre les bailleurs de fonds et les chercheurs. « Le réflexe à adopter quand on développe une demande financière c’est, dès le départ, de savoir si on intègre la recherche ou pas ». Il est nécessaire de montrer l’impact économique de la recherche même si les liens ne sont pas toujours directs.
Julie Landry-Godin souligne le besoin réel de la communauté pour la recherche « Cette expertise aide à apporter une partie de la solution ». Même si parfois les chercheurs, notamment universitaires, peuvent paraitre « inaccessibles » ou intimidants.
Deux mondes différents qui doivent tendre à s’apprivoiser; pour cela il est nécessaire de prendre en compte le langage utilisé.
Pour Léo-Paul Pinet, l’apprentissage est continuel entre le monde de la recherche et la communauté. La recherche reste un peu « étrangère » mais son langage technique est le langage à maitriser et à utiliser face à celui des sphères fédérale et provinciale. Christine C. Paulin explique qu’il est primordial de créer les conditions nécessaires d’un dialogue avec la communauté : « C’est un défi au quotidien de traduire le langage scientifique pour la communauté. Il est essentiel de ne pas se décourager en tant que chercheur car la recherche dans la communauté est primordiale ».
Les différentes visions permettent un choc des idées et de créer de nouveaux modèles garant d’un maillage plus efficace en terme de partenariat.
Les différences sont nombreuses entre la théorie et la pratique, mais la confrontation des deux permet d’obtenir des échanges enrichissants. Les partenariats permettent de mieux comprendre l’autre et d’avoir de meilleurs résultats. La réalité de la communauté peut être mieux appréhendée grâce à « des personnes ressources » issues de cette entité. Christine C. Paulin exprime très bien cette idée à travers sa propre expérience : « Les connaissances de cette personne de la municipalité me permettent d’apprendre autre chose que ce que je trouve dans la recherche ». Ce partage de connaissances permet alors une diversité dans les perspectives. Cependant les partenaires doivent s’attendre à avoir à gérer des divergences sur des valeurs, les agendas, les ressources…
La réussite d’un partenariat tient aussi dans cette confrontation avec la réalité et dans la capacité de mobilisation des partenaires.
L’étude doit être ancrée sur les besoins, sur la réalité du milieu, réussir à mobiliser. Cela peut être l’occasion de remettre en question la théorie lorsque des blocages surviennent dans la réalité.
Comme l’explique Nathalie Boivin, le rapport avec les partenaires doit être cultivé, « il faut entretenir cette relation tout au long de l’année », « on n’est pas dans une utilisation des gens, on travaille avec eux ». Il est important de tenir chacun au courant du déroulement du projet, de mettre en valeur les changements obtenus. Il est également intéressant de faire du projet le projet des partenaires, pour que ces derniers l’intègrent totalement. Pour témoigner de cet enjeu, Julie Landry-Godin prend l’exemple de la problématique du transport : « On essaye d’identifier différents intervenants qui s’intéressent au sujet, puis on leur laisse de l’espace pour que cela devienne leur projet et ainsi que chacun sente qu’il appartient au projet ». L’autre élément explicité par Julie Landry-Godin est cet enjeu d’attirer les partenaires en expliquant que le besoin évoqué par la recherche, dans son exemple le transport, est dans l’intérêt de chacun, que ce soit directement ou indirectement. Cet intérêt commun est pour Christine C. Paulin une condition pour que les gens puissent s’approprier le projet : « Le produit final en sera meilleur et répondra alors mieux aux besoins ».
Le succès d’un partenariat passe aussi par la mise en place d’un cadre, garant de la définition d’objectifs communs et d’une même temporalité.
Il est utile, entre la communauté et l’organisation, de bien définir l’encadrement du projet que ce soit la méthodologie utilisée ou les objectifs finaux. Ce cadre doit être partagé pour répondre aux échéanciers de chacun. Léo-Paul Pinet insiste sur cette idée : « Il faut bien définir la ligne de départ et la ligne d’arrivée ». Il souligne également une autre difficulté, celle de la gestion de la temporalité. Il parait pour lui de plus en plus difficile d’établir des projets à long terme, à cause des remaniements des acteurs territoriaux et des changements survenus au niveau de l’attribution des subventions. Il semble donc important d’avoir un cadre permettant à chaque partenaire de négocier son apport au projet, tout en leur laissant une marge de manoeuvre suffisante pour leur laisser la possibilité de s’approprier le projet, de développer des intérêts convergents.
La ruralité du territoire peut être une force dans l’élaboration de projet de recherche, par sa réceptivité, mais aussi grâce au recours à l’expertise locale.
Le côté positif de la région se trouve selon Nathalie Boivin dans sa ruralité : « Cela facilite la recherche parce que moins d’études se font dans ces zones; en expliquant aux gens pourquoi on a recours à leur participation, les portes s’ouvrent alors plus facilement que dans les grands centres ». De surcroit, les communautés rurales du Nouveau-Brunswick ont cette faculté d’auto-organisation, de se prendre en main. Pour Léo-Paul Pinet, la ruralité d’un territoire ne signifie pas qu’il ne dispose pas de ressources pour des projets: « Au Nouveau-Brunswick, les communautés disposent d’expertise, les éléments sont là ». Pour aller chercher le maximum de la communauté, l’objectif est de créer les conditions nécessaires à cette rencontre, de créer des liens entre les différents milieux. Dans les projets de Nathalie Boivin, l’expertise locale a permis aux intervenants, qu’elle forme, d’améliorer leur façon de faire. « On valorise à la fois les gens du milieu, mais aussi on montre qu’ils jouent un rôle important dans l’avancement de la recherche ».
L’individu et le local sont de plus en plus sollicités et considérés comme des échelles de recherche privilégiées. La mobilisation de la jeunesse dans les projets semble nécessaire et possible avec un cadre et une communication adaptés.
Nous avons vu que les gens du milieu jouent un rôle important dans l’avancement de la recherche. Nathalie Boivin a transposé son modèle de recherche, basé sur la communauté, pour identifier les problématiques sur les jeunes. « Les jeunes sont désormais le moteur de l’amélioration de la santé ». Il ne faut pas négliger les jeunes, même les 12-16 ans car ce sont l’avenir du territoire. Il est donc important de mettre en place un plan de communication qui les cible. Pour Christine C. Paulin, les jeunes sont un axe de recherche en soi, il est nécessaire d’accorder de l’importance à leur participation; « Il faut favoriser la rencontre en s’adaptant à leurs horaires, leur donner un espace pour qu’ils puissent s’exprimer ». L’individu est considéré comme le fer de lance du développement territorial.
Les limites pour les chercheurs
Pourtant les propos tenus par une chercheure mettent en évidence les freins qui peuvent exister dans cette démarche. Le cadre de financement et d’évaluation professionnel actuels n’encouragent pas les chercheurs à investir la communauté pour y mener des recherches.
Une suite à cette table ronde ?
Plusieurs personnes dans l’assemblée ont insisté sur l’importance de se réunir, que ce soit à travers un centre de développement de la ruralité, « un carrefour pour que le monde rural et les chercheurs puissent se rencontrer », ou bien alors dans une rencontre comme la table ronde proposée à ce jour par l’UMCS et le Réseau de recherche sur les politiques sociales du Nouveau-Brunswick.
Liste des organisateurs : Elise Mayrand , Stephane Laulan et Nathalie Boivin (CRUMCS) , Julie Guillemot (UMCS), Jennifer Godin (Réseau de recherche sur les politiques sociales du Nouveau-Brunswick)
Remerciement : Nous tenons à remercier l’UMCS et la FESR (Faculté des Études Supérieures et de la Recherche) pour leur soutien financier ainsi que Réseau de recherche sur les politiques sociales du Nouveau-Brunswick pour son apport logistique.